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Alice et les Autres
Dans un grenier ou l’antique Babel, de vieux flacons baudelairiens, les fleurs plus rares de l’orient, chrysanthèmes précieux, épèlent note à note le nom d’enfance, en souliers plats à brides, et à la main le brûle-gueule du vieux marin. Pays de géants et de nains, jeux furibonds, hâte des heures, l’horloge sonne le tocsin, à table s’entrechoquent les tasses, les doigts d’ivoire, les breloques pendues à la ceinture d’improbables convives, on invente, Alice au labyrinthe ne connut pas la peur, Alice aux chemins qui bifurquent dans le coin le plus empoussiéré du grenier, la cagette du cerveau, le beau navire des mémoires et les terrasses de Babel. Ou bien encore, dans un caveau d’archéologue, une momie en falbala, avec ses trésors de voyage, éternité, où donc Alice? Dans un recoin du grenier, à la plus haute tour, Babel de Barbe Bleue, Alice boira. Nous regardons aussi les mêmes lointains poudroyants, juchés sur nos trésors, de bric, de broc, Alice, nous connaîtrons d’autres chemins, nous contemplons à terre le coffre renversé, en miettes le petit homme en forme d’oeuf, dans un coin du grenier, sur les terrasses de Babel. Alice n’eut de peur, ni de sagesse à vrai dire, mais elle nous apprit à lire, à poser trop de questions, à humer les flacons opiacés, à en brouiller l’amertume par la calligraphie d’un doigt dans la poussière et sur la vitre s’enténébrant, à ramasser notre baluchon, nos images, nos terrasses, nos fleurs chinoises, le grincement de l’anse du pot à lait dans le soir, sur un chemin de craie, vers Babel qui s’évapore. I.A
Exposition LES BLEUS DE L’ ENFANCE, peintures et collages
Machine à écrire…
L’histoire de ton histoire est l’ombre portée de la machine à contes, légendaire mécanique divinatoire, le glaive jubilant que tu arraches d’un ventre à mandibules d’or. L’histoire de ton histoire commence en langue d’armurerie, claque et résonne sous le heaume d’une image qui décantée de ses limbes de houille s’attelle aux pensées; et cela fait musique dirait-on presque, dans le brouhaha des mots millénaires. Ou bien longtemps cela continue de se taire et la machine obstinément couve dans son poitrail les dragons assoupis des vieilles gestes. L’histoire de ton histoire est un poète attablé, un chevalier biblique errant sous l’oeil des âges, un pèlerin harassé dans le soir, un archange d’icône, un homme qui pousse son chariot dans les travées du marché aux signes. I.A
Tampon-buvard…
La page comme un Nord pris encore en ses neiges impose au monde sa lumière, page terrestre ou aquatique, pur temps figé où s’imaginent de Bruegel les patineurs. Les courses hivernales aux noirs profonds sillages tranchent à même les rives des fleuves, des marais, portées par le souffle, par la main, par l’andante cheville ou le poignet entier à sa vitesse, par l’angle démotique d’ombres plus denses, versant insoupçonné du poème. Les mots tanguent au premier dégel comme des oiseaux sur leur quille, appeaux ,tranquilles villageois, chorégraphie enfantine au fond de la baignoire, grue cendrée de la légende à réécrire, albatros échoué, corbeaux aux pennes acérées, et notre propre plume, toute de duvet sous les frimas. Le grand cygne mallarméen se retire, saigne du noir de Chine, des violettes écolières, saigne à l’envers comme au miroir de Léonard sur le ventre du tampon-buvard. Nous garderons aux marges de la page les appeaux naïfs dont le balancement confirme la route du calame, et nous irons, plus lentement que les patineurs, relever dans le givre des heures nos traces les plus fraîches. I.A
Abécédaire…
Le vent de mer promène des ombrelles sur le dos souple des falaises, osiers à jours pour un peu d’ombre, que s’y pique et repique l’aiguille de l’heure dans un temps d’autrefois, à l’aplomb d’un suspens, lenteur de vague, compte et recompte les fils de trame et de chaîne. Du bout de l’aiguille on écartèle un coeur quadrille dont les ailes tournent comme au pays de Cervantès, on a le rose aux joues, anglaise carnation, les yeux un peu baissés sur l’affairement des mains, blancheurs, rouge aussi le fil du cerf-volant quelque part aux nuages et qui rassemble ses noms, troupeau donc mené au pas abécédaire dans des langueurs d’après-midi, le rauque grondement des galets, les maisons béantes, les toiles éblouissantes. A petits pas vers la jetée, à petits points d’il y a cent ans, le lancer du fil rouge ramène au creux des paumes tous les possibles des mots du monde, toutes les langues, et la plus silencieuse qui s’extasie, s’étire et virevolte dans le giron du vent; on espère, on bâille faiblement, une mince suée au-dessus de la lèvre donne soif et fait rêver d’amour, mademoiselle. Du temps passe; pâlissent les lettres anglaises, les coquelicots du printemps que secoue le vent de mer, la chair antédiluvienne des falaises, jaunissent la toile fine brodée en rêve, la robe de jeune fille qui ne sied plus, tandis que, oui, le sourire se fixe sur les cimes de l’air, les mots courent par le monde, la bouche coquette les aura dits, lissés, les doigts rincés aux vagues. Et, faufilés à tremblotants éclats de nacre, là, sous la rumeur inextinguible, parmi les galets, dans tout le ciel, il y a la voix, le rire, tout une joie de ciel, mademoiselle; et pour toujours maintenant vous allez, votre ouvrage dans une main, vos bottines mouillées dans l’autre, ramasser avec l’ourlet de cette robe, le long de la grève, un peu de l’écume du temps. I.A
L’ abécédaire de mon arrière- grand-mère
Triptyques
Guazzo…
Gouache, encre violette, couleur utilisée par Virginia Woolf…
Giganti, le modèle de Camille Claudel